Européennes (4) : Quand des professionnels du social deviennent candidats
Trente-quatre listes. Cette édition des élections européennes bat tous les records pour le nombre de concurrents. Mais sur les trente-quatre listes, combien vont véritablement aller jusqu’au bout, présentant des bulletins de vote dans les bureaux électoraux ? Sans doute pas plus d’une dizaine. Nous avons exploré la composition de ces listes pour repérer les candidats assistants sociaux, éducateurs, directeurs d’établissements ou fonctionnaires « sociaux ». La tâche n’était pas toujours très simple car la composition détaillée de la liste a parfois été annoncée tardivement ou parce que l’identité socio-professionnelle n’était pas précisée.
Plusieurs listes « importantes » ne comportent pas de professionnel de notre secteur. Le cas le plus flagrant est celui de la liste « Prenez le pouvoir » du Rassemblement national qui comporte beaucoup de professionnels de la politique (élus, attachés parlementaires), mais peu de citoyens lambda. C’est le cas également – et c’est plus étonnant – de la liste présentée par Lutte ouvrière qui comporte pourtant pléthore d’ouvriers, d’enseignants et de… postiers.
Nous nous sommes donc intéressés à sept listes conduites par Nathalie Loiseau, François-Xavier Bellamy, Manon Aubry, Yannick Jadot, Raphaël Glucksmann, Ian Brossat et Benoît Hamon. A chaque fois, nous avons voulu connaître le parcours professionnel et/ou militant du candidat et les raisons qui l’ont amenées à se présenter. Dans cette édition, nous présentons trois listes et dans celle de vendredi, les quatre autres listes.
Conduite par l’universitaire et élu de Versailles François-Xavier Bellamy, la liste d’union du centre et de la droite ne comporte pas de travailleurs sociaux. Mais au moins l’une de ses candidates a une vraie connaissance des questions sociales.
Cette liste d’union PS – Place publique et Nouvelle donne emmenée par Raphaël Glucksmann, comporte une seule candidate travaillant dans le social, Marine Mazel, placée à la 22e place, non éligible.
Marine Mazel a l’enthousiasme des nouveaux venus, mais de par sa formation, elle garde une forme de lucidité sur ce qu’elle vit. Quand elle raconte son itinéraire, elle dit franchement : « J’ai fait les choses à l’envers »? En effet, il n’est pas très courant de voir un élève de Sciences Po Paris quitter le navire six mois après son entrée. Elle l’a fait, ne se sentant pas en phase avec les valeurs de cet établissement prestigieux. La voilà ensuite suivant un double cursus psychiatrie et philo. Elle démarre encore étudiante une psychanalyse.
Lors d’un stage, elle intervient à l’ASM 13, l’association de secteur mental du 13e arrondissement de Paris. « Je découvre le public en grande précarité », explique la jeune femme venue de l’Hérault. Elle trouve ensuite du travail dans une grosse association parisienne qui lui fixe deux missions : participer en tant que psy à une équipe mobile qui part à la rencontre des locataires en voie d’expulsion ; la supervision des équipes sociales de l’association (accueil de jour, hébergement, …). Cette trentenaire précise, par ailleurs, qu’elle est très engagée dans le combat féministe, co-animant notamment le prix Simone de Beauvoir.
La politique lui est tombée dessus quand s’est constitué autour de Raphaël Glucksmann et Claire Nouvian, notamment, le mouvement Place publique (PP). « Ce mouvement faisait vraiment de la place aux gens engagés dans les ONG », assure-t-elle. Après un contact avec Thierry Kuhn, du mouvement Emmaüs, elle devient porteuse de cause précarité, en quelque sorte responsable de commission. A ce titre, elle rentre très vite au conseil exécutif de PP, participant aux débats, par exemple sur la présence aux européennes. « On a décidé d’y aller », explique-t-elle, en faisant alliance avec le PS et Nouvelle donne. Depuis quelques semaines, elle est engagée à fond, organisant des événements, tractant, rencontrant des citoyens. Elle jongle entre son engagement et son job, gardant un peu de lucidité sur la politique : « C’est violent. Faut faire attention à ça. En politique existe une volonté de domination voire d’asservissement », dit-elle.
Sa formation et son activité professionnelle lui sont fort utiles : « C’est mon métier de prendre soin des autres. Donc je l’ai fait pendant la campagne. »
Conduite par le député européen sortant Yannick Jadot, la liste Europe écologie présentée par EELV compte trois candidats issus du social ou du médico-social. Aucun d’entre eux n’est en mesure d’être élu.
Sa vie à Claude Boulanger se confond avec le handicap. Parce qu’il le porte dans sa chair. Atteint d’une maladie génétique, il souffre d’un handicap neurologique qui l’oblige parfois à circuler en fauteuil. Il a fréquenté entre 4 et 14 ans un établissement médico-social puis a suivi une scolarité aux… Pays Bas. Cela ne l’a pas empêché de devenir consultant en organisation de l’entreprise. Il a pris de très importantes responsabilités au sein de l’Association des paralysées de France, siégeant notamment au conseil économique et social régional (Ceser). Entre 2012 et 2018, il fait partie de « l’APF politique » au niveau régional. Claude se bat pour la mise en place des règles standard définies par l’ONU pour l’égalité entre personnes valides et handicapées. Ce qui l’amène à être en discussion avec la présidente de la région, Valérie Pécresse, lui qui s’est présenté sur une liste EELV aux régionales.
L’an dernier, Claude Boulanger claque la porte de l’APF, en désaccord avec des choix d’organisation (il souhaitait une structure plus décentralisée). il ne reste pas longtemps inactif puisque il entre au conseil d’administration de l’Unapei dont il prend la vice-présidence.
En se présentant aux élections européennes (au 71e rang), il entend mettre sur la table la relation entre santé et environnement. « Pourquoi ne parle-t-on jamais de la qualité de l’alimentation dans les Ehpad ? » Par rapport au logement des personnes handicapées, il milite pour une désinstitutionnalisation. Mais attention, il avertit : « On aura toujours besoin d’établissements. » Que cela plaise ou non à l’Europe…